Lettre ouverte à M. le Recteur de l’Université de Lausanne sur l’occupation
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Lettre ouverte à M. le Recteur de l’Université de Lausanne
Monsieur le Recteur de l’Université de Lausanne,
Du lundi au jeudi de cette semaine, un collectif de migrant-e-s et des personnes qui les soutiennent, a occupé un auditoire de notre université. Notre syndicat a soutenu pleinement cette action, dans sa méthode comme dans ses revendications.
Dans votre courriel à l’ensemble de la communauté universitaire, le mardi 24 novembre 2015 au soir, vous prenez une position politique en condamnant cette occupation et vous affirmez que « la cause défendue n’a rien à voir avec le champ d’activité de l’Université ». De nombreux/euses étudiant-e-s et travailleurs/euses ont été choqué-e-s par cette déclaration. À raison. Nous déplorons avec elles et eux votre propos. Celui-ci n’engage que votre collège de direction et ne saurait en aucune manière représenter la position de la communauté universitaire dans son ensemble.
S’il est bien une période historique où la question migratoire est un enjeu politique central c’est bien la nôtre. C’est une problématique qui exige une analyse fine, théoriquement construite, avec des réponses complexes et novatrices à la hauteur des enjeux sociaux, humains et démocratiques. L’université n’a pas pour rôle d’y répondre seule. Mais elle a pour devoir
a minima d’entendre celles et ceux qui en sont les acteurs/actrices, surtout quand ceux/celles-ci font l’effort de venir à elle.
Contrairement à ce que vous semblez penser, nous sommes nombreux/euses dans ce lieu à travailler sur cet enjeu, à participer à ce débat, à construire des analyses, à proposer des réponses et des alternatives. À agir aussi. Mais il est dans l’air du temps d’oublier, ou plutôt, de marginaliser et d’invisibiliser sciemment, le travail essentiel réalisé dans les sciences historiques, sociales et politiques. Nous existons comme citoyen-ne-s, comme militant-e-s et intellectuel-le-s et nous continuerons à penser et à résister.
Nous sommes fières et fiers d’avoir accueilli pendant quatre jours les migrant-e-s et leurs soutiens dans un auditoire de notre université. Nous avons participé à des ateliers, à des séminaires, à des conférences qui nous ont enrichis d’un savoir qui fait indiscutablement partie de notre formation intellectuelle et critique. Nous avons pu soutenir leurs revendications qui sont justes et nous engagent.
Surtout, et cela est sans conteste le plus précieux à nos yeux, nous avons pu échanger d’égal à égal avec des personnes qui n’auront certainement jamais le droit d’accéder à l’université. Si vous étiez descendu de votre tour d’ivoire, vous auriez été touché comme nous par la puissance de ces moments. Celles et ceux qui, plus que quiconque dans notre société, sont des sans-voix, ont pu, l’espace de quelques jours, avoir la parole, raconter leur vie et leurs expériences, prendre position, dire leur dissidence.
Nous gardons un souvenir d’une acuité particulière de l’accueil en grande pompe que vous avez réservé, l’année passée, aux piliers de l’actuelle politique européenne, y compris migratoire – les José Manuel Barroso, Martin Schulz, Herman Van Rompuy. Nous nous souvenons avec quel respect et considération les portes des auditoires leur avaient été ouvertes. Nous avons la prétention de rappeler que ces messieurs étaient repartis du campus avec une médaille ! Ils ont leur place réservée dans les bâtiments universitaires. Celles et ceux qui sont les victimes de leurs politiques, ces hommes et ces femmes qui sont à l’extrême inverse du champ social et qu’on n’entend jamais, vous leur refusez l’accès, même temporaire, à un espace public.
Il n’y a pas que la parole prétendument scientifique qui a droit de cité dans l’Alma Mater. Il ne doit pas y avoir que la glose des puissant-e-s qui puisse y être entendue. La vérité est l’affaire de toutes et de tous, on ne la trouve pas en fermant les yeux sur ce qu’y est en train d’advenir.
Nous traversons une période historique d’attaques inégalées contre les libertés et les droits démocratiques. Il est plus que jamais de notre devoir de défendre une université la plus ouverte possible, une université de service public et de bien commun, une université répondant aux besoins et aux aspirations des majorités sociales.
C’est pourquoi nous refusons votre conception étroite et « court-termiste » de cette institution. Au contraire, nous désirons une université porteuse d’égalité et de liberté. Nous voulons construire un lieu d’étude et de travail intellectuel qui soit démocratique, coopératif, critique et émancipateur.
Avec nos salutations distinguées,
SUD Étudiant-e-s et Précaires