Domino’s Pizza: un employeur voyou?
Déclaration de SUD Étudiant-e-s et Précaires à la conférence de presse
Notre syndicat, SUD Étudiant-e-s et Précaires, intervient à Domino’s Pizza, dans sa filiale lausannoise, depuis plusieurs années maintenant. Nous y avons accumulé de nombreuses interventions, nous avons rencontré de nombreux salarié-e-s qui malgré la peur de représailles, malgré la difficulté d’agir dans un contexte de précarité et de menaces, sont venus nous décrire leurs conditions de travail, leurs difficultés à vivre et à travailler dans cette entreprise.
Si nous vous avons convoqué à cette conférence de presse, c’est parce que la situation conflictuelle avec Domino’s Pizza a atteint des seuils inacceptables qu’il faut dénoncer et qui intéresse toute la société. Car s’il s’agit bien aujourd’hui de vous décrire le système Domino’s Pizza et de vous exposer les revendications portées par notre organisation, il s’agit également de donner l’exemple d’une organisation du travail salarié qui n’est plus une exception scandaleuse, un cas particulièrement grave susceptible de faire la une des médias et qu’on pourrait pointer du doigt tout en se gaussant qu’ailleurs, dans le reste du marché du travail, non, jamais, cela ne se passera comme cela. Au contraire.
À l’heure où le débat sur le développement exponentiel du travail temporaire est ouvert, nous disons ceci. Il est temps de parler plus généralement de cette nouvelle forme de gouvernement sur le travail qui se banalise et s’étend partout: à partir des secteurs les plus abandonnés de la force de travail jusqu’aux secteurs qu’on croyait les plus protégés. Car nous parlerons bien d’une entreprise qui est soumise à une convention collective de travail. Une des plus grandes de Suisse et de force étendue. Et ce dont nous allons parler nous le rencontrons autant dans le marché dit libre, que dans les secteurs conventionnés, ou dans le secteur parapublic et public. Les employeurs tentent par tous les moyens de tordre, de réduire au minimum, d’agir de manière discrétionnaire pour ne même pas appliquer les dispositions légales ou conventionnelles. Et si vous couplez cette tendance profonde avec la pression extrêmement forte sur les salaires, avec une baisse structurelle du salaire réel que nous connaissons dans ce pays, se révèle ainsi le tableau de la nouvelle condition des travailleuses et des travailleurs.
Ce qui constitue le système Domino’s Pizza est un archétype de ce nouveau gouvernement sur le travail. Il s’agit de l’alliance de la précarisation des contrats et des statuts, d’une flexibilisation maximale du temps de travail, et d’un employeur qui fait preuve d’autoritarisme brutal dans son management et dans les relations de travail. Nous insistons que la précarité contractuelle ou statutaire, la flexibilité illimitée sont indissociables du durcissement du pouvoir de la hiérarchie sur les employés. Les salariés sont mis dans une situation d’impossibilité non seulement à pouvoir revendiquer ou accéder à leurs droits, mais même à émettre un simple avis, un simple désaccord sous peine de sanctions immédiates.
À Dominos Pizza, la plupart des employés sont des personnes en situation de précarité. Ils et elles ont un permis de séjour instable, sont sans formation ou en fin de droit au chômage, ou encore se sont des jeunes en formation contraint-e-s de travailler à côté de leurs études.
L’employeur utilise cette situation de grande dépendance pour imposer des formes dégradées de travail sur appel, des contrats dits «zero hour» où les salariés sont contraints par une très grande flexibilité des horaires et du temps de travail. Par exemple, les employés bien que planifiés, ne sont pas toujours autorisés à commencer leur travail à l’heure indiquée et sont mis sous pression pour se «détimbrer» et cela en fonction de la charge de travail du jour. Les employés, bien que formellement en droit de s’y opposer, y renoncent par suite de pressions. L’employeur les menaces de réduire plus généralement leur temps de travail s’ils n’y consentent pas. Il s’agit d’une flexibilisation illégale du temps de travail. De surcroît, Domino’s Pizza réduit drastiquement le temps de travail de manière unilatérale et selon les périodes de l’année, pour coller au plus près à ses objectifs de rentabilité. Cette modification du contrat de travail, dont le temps de travail est un élément essentiel, ne respecte aucune des dispositions légales et conventionnelles.
L’entreprise fait porter intégralement le risque d’entreprise sur les salariés qui sont contraints d’accepter des fluctuations importantes de leur salaire. Les conséquences sur la capacité de ces personnes à pouvoir construire une vie stabilisée, à avoir une famille, à avoir ne serait-ce qu’un peu de projection dans l’avenir, est réduite à néant. En quelque sorte, c’est comme accrocher un boulet de fonte à une personne qui essaie déjà de nager dans une mer tempétueuse. Les plus précaires, les plus fragiles de notre société, c’est à ceux et celles-là que l’on impose premièrement ces conditions précaires de travail couplé à des salaires beaucoup trop bas.
Le système Domino’s Pizza c’est aussi un management brutal et maltraitant, un autoritarisme de la hiérarchie. Les travailleurs ici présents pourront en témoigner.
Nous avons actuellement trois affaires portées devant les tribunaux et les deux personnes présentes verront leur procès aux Prud’hommes commencer prochainement.
Dans la première affaire, un employé que nous défendons a été contraint de démissionner avec effet immédiat. À la suite d’une altercation où son chef direct l’a atteint physiquement et moralement, ce salarié avait demandé des excuses et l’assurance que la protection de sa santé, sa personnalité et son intégrité est assurée par l’employeur. La responsable des ressources humaines est alors intervenue pour empêcher le chef, qui entendait le faire, de produire des excuses et s’est refusée à garantir les droits de cette personne. Sa seule option, se refusant à retourner travailler dans un environnement de travail potentiellement violent, était de démissionner avec effet immédiat pour éviter éventuellement une sanction du chômage. Le tribunal, dans son jugement rendu récemment, a jugé que ce salarié avait effectivement subi un tort moral, en particulier car aucune procédure de gestion des conflits n’existait à Domino’s Pizza. Il a néanmoins été débouté sur autre partie de ses conclusions, car le tribunal a jugé normal que dans la restauration le «stress» naturel de l’organisation du travail conduise à des altercations verbales et physiques légères. Nous laisserons aux gens le soin de juger de la légitimité de cette décision.
La question du traitement des conflits dans l’entreprise est néanmoins un problème clé. Aujourd’hui encore, les salariés ne disposent d’aucune procédure accessible pour dénoncer une situation de conflit et/ou d’atteinte à leur personnalité, leur intégrité ou leur santé physique et psychique. L’inspection du travail, qui est intervenu la semaine dernière pour la troisième fois en trois ans, à la suite de plainte portée par notre syndicat, a constaté, notamment, à plusieurs reprises que l’employeur contrevenait à ses obligations en matière de protection de la santé, selon la Loi sur le travail, et exigeait de lui des mesures. En particulier, Domino’s Pizza prétend qu’un numéro d’appel ainsi qu’une procédure de dénonciation accessible uniquement en anglais, dont vous trouverez une copie dans le dossier de presse, permettraient de répondre aux exigences de l’inspection du travail. Le tribunal lui a donné tort sur ce point.
De plus, et nous vous en apportons ici la preuve, l’employeur a menti sciemment à l’inspection du travail de Lausanne qui exigeait de l’entreprise que ladite hotline soit au moins accessible en français. La responsable des ressources humaines, Mme Claudia Scherrer, a en effet déclaré devant le tribunal contrairement à ce qu’elle a dit à l’inspection du travail, qu’elle n’entendait jamais rendre accessible ce moyen autrement qu’en anglais.
À cela s’ajoute que l’employeur a également mis plus d’un an et demi pour se conformer aux demandes de l’inspection s’agissant de l’installation d’une climatisation dans les locaux. En conséquence, durant l’été 2018 les salarié-e-s ont dû travailler parfois dans un environnement à plus de 40 °C.
Lors du même procès, un employé a été convoqué par le tribunal pour témoigner. Avant même de s’y rendre, Monsieur a été averti à quatre reprises de manière absolument arbitraire pour l’intimider. Puis, celui-ci sentant bien qu’il était sous la menace de représailles en a informé la présidente durant son audition. Laquelle n’a pas manqué de préciser à la responsable des ressources humaines qu’un licenciement serait une résiliation par représailles caractérisées. Un mois plus tard, Monsieur était licencié.
Une autre salariée a également été licenciée durant cette même période, soit à la fin de l’été 2018, sans qu’aucun motif valable n’ait pu être produit par l’employeur. Ce dernier, a en fait décidé de liquider toute l’équipe passée pour s’assurer d’un collectif de travail nouveau qui n’avait pas eu affaire avec notre syndicat afin de mettre en place la nouvelle flexibilité du temps de travail et des horaires.
Depuis, l’employeur a rompu toute communication et est particulièrement retors avec les employés en situation de conflit. Domino’s pizza refuse de donner les motifs de licenciement alors qu’il y est obligé légalement, et ce y compris à la caisse de chômage qui l’avait demandé. Domino’s Pizza refuse de produire les fiches de salaires qui lui sont demandées depuis des mois. Il refuse également de produire des certificats de travail finaux ou avec un retard de plusieurs mois. À cela s’ajoute, qu’ils font traîner volontairement toutes les procédures dans lesquelles ils sont engagés pour porter un tort maximum à leurs anciens employés et les décourager de défendre leurs droits. Par exemple, aux Prud’hommes, cela fait plus de trois mois que nous attendons les déterminations de l’employeur dans l’affaire de Madame. Ou, dans le cas de Monsieur, il a dû attendre près de deux mois pour obtenir une décision sur son droit au chômage, car l’employeur refusait de répondre aux demandes de la caisse. Par ailleurs, la caisse cantonale de chômage refuse encore aujourd’hui de sanctionner pénalement l’employeur délinquant alors qu’elle en a la possibilité.
La situation que nous décrivons aujourd’hui ne concerne malheureusement pas uniquement la filiale lausannoise de Domino’s Pizza. Le syndicat UNIA de Neuchâtel fait face lui aussi à des problèmes similaires et à la très grande difficulté d’entrer en communication avec l’employeur. Il s’agit donc bien d’un système qui concerne l’ensemble de la Suisse et d’une politique générale de Domino’s Pizza.
Notre syndicat agit pour défendre les salariés. Nous avons saisi l’inspection du travail avec les nouveaux éléments que nous vous présentons aujourd’hui. Nous demandons que l’entreprise qui ne respecte pas ses obligations légales fasse l’objet de poursuite pénale pour insoumission à une autorité administrative conformément à ce qui est prévu par les dispositions de la Loi sur le travail et ses ordonnances. De surcroît, nous avons saisi également l’office de contrôle de la Convention collective nationale de l’hôtellerie-restauration pour que la commission paritaire réalise une vérification et prenne position sur la flexibilisation des horaires et le faux travail sur appel. Demain s’ouvre le procès Prud’hommes de Monsieur et nous attendons encore le début de celui de Madame. Nous ne manquerons pas de vous informer des suites.
Pour résumer, il faut que Domino’s Pizza:
- Arrête toute forme d’autoritarisme, de violence et de maltraitance envers les salarié-e-s. Le droit à s’exprimer, à accéder à ses droits, à être protégé dans sa santé, sa personnalité, son intégrité ainsi qu’à librement décider de son contrat doit être pleinement respecté.
- L’employeur doit garantir des conditions de travail digne et un salaire qui permette de vivre. Les gens ne sont pas de la marchandise que l’on prend et que l’on jette selon les stricts besoins de Domino’s Pizza. Ils ont droit à construire leur vie correctement, de manière stabilisée et à pouvoir se projeter dans l’avenir.
- Il faut que les conventions collectives de travail soient respectées et dans ce cas la Convention collective nationale de l’hôtellerie-restauration. Il est intolérable que cette convention forte mauvaise au demeurant ne soit même pas appliquée dans le peu de droits qu’elle garantit aux travailleurs.
Pour conclure, il n’y a pas que les 7 % de la force de travail qui sont formellement des travailleurs temporaires, comme l’annonçait avant-hier l’USS. Cela est déjà énorme et aujourd’hui, cette convention collective des travailleurs temporaires est la plus grande de Suisse. Mais il faut considérer également tous les secteurs de la force de travail qui ne sont pas engagés par des boîtes d’intérim, mais bien directement par les entreprises. Les travailleurs de Domino’s Pizza, comme bien d’autres qui ne sont pas comptabilisés, sont aussi des travailleurs temporaires. Car ce qui définit le travail temporaire c’est la flexibilité illimitée du temps de travail. Et ça, c’est le quotidien de beaucoup plus de gens que les 7 % dont parle l’USS.