Notre travail le vaut bien: 2000.- salaire étudiant!
Retrouvez les autres articles du journal de rentrée (février 2015)
En Suisse, comme ailleurs en Europe, le pouvoir d’achat des étudiant-e-s fait l’objet d’attaques systématiques. En particulier, le volume total des bourses d’études a diminué de 25% en l’espace de vingt ans. La Suisse fait aujourd’hui partie des pays d’Europe les plus radins dans les aides dévolues aux jeunes en formation. Malgré le fait que ceux et celles-ci soient producteurs/trices de richesse, immédiatement et dans le futur, ils/elles doivent subvenir, pour l’essentiel, individuellement à leurs besoins. Autrement dit: nous travaillons beaucoup mais nous portons seul-e-s le coût à court et long terme (ex. : les prêts) de notre formation.
Attaques sur notre salaire social
La dégradation du système des bourses est un élément moteur de la politique de précarisation et de subordination des étudiant-e-s. Il valorise idéologiquement et s’appuie matériellement sur deux piliers-objectifs.
Le premier, c’est le «capital humain». C’est-à-dire la prétention de faire de la formation un investissement personnel dont les jeunes, devenu-e-s auto-entrepreneur/euse, bénéficieraient des retombées une fois le diplôme en poche. Les études ne sont plus un service public, un bien commun, mais une ressource privée à investir. Cette politique promeut en particulier l’augmentation des taxes d’études et la valorisation des prêts. Elle cherche à ponctionner sur les revenus présents et futurs des étudiant-e-s et de leur famille, les moyens pour assurer leurs besoins durant leur formation.
C’est ce que fait le système des bourses en considérant, dans ses calculs, tout salaire des parents supérieur au niveau de l’aide sociale comme devant être alloué à la formation de leurs enfants. C’est parfaitement démagogique et sert à faire peser lourdement le poids de la formation sur les familles et les jeunes. Le résultat de cette politique ne doit pas être évalué seulement à l’aune de la précarité qu’elle produit. Mais également à la dépendance, à la conformité, à la discipline qu’elle promeut. Pensez seulement à la situation de «liberté» dans laquelle vous êtes sur le marché du travail et face à votre employeur, lorsque vous avez un prêt de 50’000 CHF à rembourser.
Le deuxième objectif de ces politiques, c’est la mise au travail généralisée des jeunes en formation dans des emplois précaires, fragiles et sous-salariés. Aujourd’hui, 80% des étudiant-e-s sont contraint-e-s de travailler en parallèle de leurs études. Pendant cinq, six, sept ans, des centaines de milliers de jeunes sont placé-e-s sur le marché du travail, pour réaliser du travail déqualifié à un prix très bas ou pour, dès le bachelor ou le master en poche, être embauché-e pour du travail qualifié en sous-salarisation.
Les stages, comme les emplois étudiants, participent de ce même mouvement. Sous couvert d’«expérience professionnelle», il s’agit de promouvoir la surexploitation des travailleurs/euses intellectuel-le-s en formation. Pour les employeurs, publics comme privés, c’est une aubaine. Pour nous, cela veut dire dépendance, perte d’autonomie et, naturellement, difficulté à se former. Ces situations d’emploi où nous sommes contraint-e-s de travailler avec un salaire, un statut et des droits en dessous de la normalité ne sont pas atypiques. En fait, elles se prolongent après les études et parfois précèdent celles-ci, avec les pré-stages par exemple. La volonté du Secrétaire d’Etat, M. Dell’Ambrogio, de généraliser les masters à temps partiel va dans ce sens (voir ici).
Au final, une grande partie de notre formation est financée par les revenus de nos parents et par notre travail salarié au cours des études. Nous avons affaire à une individualisation très forte de la charge de formation. Soulignons ici, car nous y reviendrons dans un prochain bulletin, un élément à notre sens décisif: ce n’est pas seulement un critère d’économie qui guide ces politiques, ni seulement une volonté d’extorquer du travail gratuit ou sous-payé aux étudiant-e-s. Mais également de peser sur notre vie elle-même, jusque dans l’intimité de nos projets, de nos désirs, de nos aspirations, de nos aventures.
Les bourses, comme la gratuité des études, les réductions de prix pour les transports publics, des logements étudiants à prix bas voire gratuits, etc., constituent notre salaire social. Et c’est celui-ci qui est continuellement attaqué et pour lequel nous devons nous battre.
Il faut lutter urgemment pour l’augmenter et comprendre notre situation à l’aune de celui-ci. Nous devons faire un travail important de démystification des prêts, des stages, des taxes d’études, etc.
Ce salaire social, c’est ce qui doit nous permettre de répondre réellement à l’ensemble de nos besoins sociaux. C’est aussi ce qui doit nous servir de stabilité matérielle pour conquérir de la liberté et un vrai droit à l’auto-détermination pour les jeunes.
L’initiative populaire de l’UNES peut être une étape, certes limitée, dans ce processus.
Le oui est utile, la lutte est décisive!
Personne ne niera la faiblesse actuelle du mouvement étudiant pour défendre ce salaire social et pour porter des projets alternatifs. C’est un problème qu’il faut affronter et à l’aune duquel il faut évaluer l’initiative populaire de l’UNES.
Cette initiative, sur laquelle nous allons voter au mois de juin 2015, exige une harmonisation formelle et matérielle des systèmes cantonaux de bourses d’études en Suisse. L’UNES évalue à 2000 CHF par mois, le revenu minimum que devraient garantir les bourses d’études. Cet objectif est important et nous le soutenons.
Toutefois, cette initiative fait l’impasse sur la question essentielle de l’autonomie des étudiant-e-s. Elle maintient le principe général qui consiste à faire peser l’essentiel du revenu étudiant sur les familles. De plus, cette harmonisation ne mènera à aucune amélioration dans certains cantons (comme le canton de Vaud) voire pourrait ouvrir à une dégradation dans certaines régions. En effet, rien ne garantit une harmonisation au «mieux-disant», bien au contraire.
Il est utile de voter et d’appeler à voter oui à cette initiative. Mais rien ne nous permet de faire l’économie d’une lutte d’envergure sur cette question.
La lutte est première
Il est nécessaire de faire la critique de ce moyen d’action qu’a choisi l’UNES. Dans ce pays, de nombreuses forces dites progressistes n’arrivent à concevoir des batailles qu’à travers des mécanismes institutionnels comme l’initiative populaire ou le référendum. Le combat pour les besoins sociaux des étudiant-e-s est placé directement sur le terrain du vote et donc de la délégation. Pourtant, l’expérience de l’initiative populaire pour le salaire minimum devrait nous interroger.
Ce mode de mobilisation politique mène bien souvent, au final, à la démobilisation et au discrédit de la lutte et de nos revendications.
Tout d’abord, l’UNES va faire une campagne extrêmement molle. Leur stratégie sera d’édulcorer très fortement les revendications et de voiler au mieux le combat pour les besoins sociaux, dans l’espoir de capter des votes dans des franges de l’opinion publique traditionellement hostiles à ce type de revendications. Ensuite, l’outil de l’initiative est brandi comme l’unique moyen pour améliorer notre situation. Ce n’est pas acceptable.
Il ne s’agit donc pas de dire dogmatiquement que cette initiative est à combattre. Il s’agit d’être lucides et d’en évaluer la capacité effective pour construire le rapport de force et faire aboutir nos revendications. Or, la clef pour avancer, ce sont les luttes, les mobilisations que nous serons capables de construire et les alternatives que nous serons en mesure de bâtir et de proposer. Il n’y a pas de voie magique (comme la victoire d’une initiative populaire) vers l’amélioration de nos conditions. Cette initiative n’est qu’un moment. Seule la construction de mouvements et d’organisations capables de lutter et de changer le rapport de force peut nous doter de la puissance nécessaire pour imposer des changements.
C’est aussi une question démocratique. Il faut promouvoir des modes d’action et de décision qui se basent sur la participation des principaux/ales concerné-e-s. C’est une condition nécessaire de l’autodétermination, de l’autogestion et de la démocratie de base.
Vers le salaire étudiant !
Face aux attaques sur notre salaire social, il faut des revendications qui portent des projets d’alternatives au système.
Nous défendons la formation à tous les niveaux comme un service public et un bien commun. Nous considérons également que la formation est un travail productif à temps plein et que le salaire social des étudiant-e-s doit nous permettre de vivre dignement, d’avoir le temps d’étudier, de couvrir les besoins sociaux nécessaires pour mener une vie indépendante. Nous refusons que les jeunes soient contraint-e-s de travailler dans des conditions dégradées, sous-salariées, précaires, et ce pour une longue période.
Nous revendiquons donc l’introduction d’un salaire étudiant de min. 2000 CHF par mois pour toutes et tous les jeunes en formation.
Ce salaire peut être complété ou pour partie comprendre des formes différentes de salaire social comme la gratuité des transports publics, la gratuité des études ou un service public du logement étudiant.
Il faut revendiquer un revenu minimum garanti basé sur le droit à l’existence. Il ne s’agit de rien d’autre que de l’extension du système des bourses en accord avec les besoins réels des jeunes en formation. Les étudiant-e-s sont des travailleurs/euses qui n’ont ni droit au chômage ni à l’aide sociale.
Tout jeune qui se déclare indépendant-e de ses parents doit pouvoir recevoir ce salaire et mener pleinement ses études. Il s’agit de permettre aux jeunes en formation d’accéder à l’autonomie, de pouvoir construire sa vie librement et en indépendance. Cela permet aussi de lutter contre un apprentissage qui tend à être de plus en plus utilitariste. Avoir du temps est nécessaire pour étudier, se former, approfondir, être curieux/euses, critiquer. C’est un vrai travail dont une bonne partie est invisibilisée et niée. C’est donc aussi une condition de l’émancipation, de la construction intellectuelle et de la pensée critique.
Les étudiant-e-s travaillent à 100%. Un-e étudiant-e sans emploi salarié travaille en moyenne 42h par semaine pour ses études (OFS). Il n’est pas acceptable qu’il/elle doive exercer une activité en parallèle. Le salaire étudiant doit lui permettre de s’y consacrer pleinement, tout en soulageant les familles et en lui garantissant du temps libre.
Les étudiant-e-s sont productifs/ves. Il faut combattre radicalement la vision aliénante qui fait des études un coût pour la société. Nous produisons des richesses tous les jours et celles-ci sont valorisées directement par les universités et l’économie. Même les économistes orthodoxes de HEC reconnaissent (avec leur doxa) que l’UNIL dégage des bénéfices pour le canton de Vaud. Revendiquer ce salaire, c’est exiger notre part de cette richesse. C’est également libérer des milliers d’étudiant-e-s des contraintes du marché du travail tout en mettant fin à la concurrence à la baisse à laquelle nous participons, malgré nous, contre les salarié-e-s de ces secteurs (vente, restauration, etc.).
SUD Étudiant-e-s et Précaires