Le stage est un travail. À travail égal, salaire égal!
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Pour un nombre croissant de formations, des stages, de plus en plus lourds, sont exigés. Cette multiplication doit nous interroger car le stage, avant d’être un élément de formation est d’abord du travail que l’on doit fournir, de la subordination que l’on doit accepter, de la discipline à laquelle il faut se plier. Le/La stagiaire c’est d’abord un-e travailleur/euse. C’est-à-dire quelqu’un qui, dans un lieu de travail, est par définition dans une situation fragile. Il/elle est de passage, il/elle a moins de droits, moins de moyens de défense, moins de reconnaissance que les autres. Cette infériorité de situation et de statut est sanctionnée par la sous-salarisation, voire par la pure et simple absence de salaire.
Quelle est la justification de ce statut et de cette sous-salarisation ? C’est qu’au fond le stage serait une initiation, un apprentissage sur le tas, pour assurer une certaine qualité d’intégration, pour prouver que l’on est capable d’entrer dans un univers professionnel et de s’y adapter.
Les stagiaires ne sont pas bénévoles
Or, les stagiaires travaillent. Ils/elles le font, la plupart du temps, pleinement, après des périodes d’initiation ridiculement courtes et avec un encadrement réduit au minimum. Souvent, ils/elles prennent des responsabilités et assument des tâches nombreuses et parfois qualifiées. D’autres fois, le/la stagiaire se voit attribuer toutes sortes de petites besognes de service, d’activités peu qualifiées et peu intéressantes que les salarié-e-s ordinaires tentent d’éviter quand ils/elles le peuvent.
Ne nous laissons pas abuser par des prétextes selon lesquels les stagiaires remplissent des tâches auxiliaires, en renfort, en complément, des autres salarié-e-s. Ce n’est pas vrai. À peu près partout, les unités de travail avec des effectifs réduits voire insuffisants tablent sur cet apport de main d’œuvre. Celle-ci est devenue structurelle dans de nombreux secteurs, publics comme privés.
Il faut souligner la complicité entre les centres de décision étatiques, les directions de formations et les employeurs publics ou privés pour imposer ce type de travail à un nombre croissant de jeunes en formation, socialisé-e-s ainsi à la discipline et à la subordination et mis-e-s au travail à des tarifs dérisoires.
Un archipel de précarité
La forme stage s’étend, s’approfondit, se capillarise. De plus en plus souvent, il n’y a plus seulement le stage qui exploite des salarié-e-s peu ou pas qualifié-e-s. Nous voyons se développer le stage qui exploite des travailleurs/euses formé-e-s, qualifié-e-s, porteurs/euses de diplômes et ayant conclu ou étant sur le point de conclure leur formation. Il y a là une tendance lourde qui allonge et densifie les périodes de la vie professionnelle à situation précaire, fragilisée et sous-salariée, avant de pouvoir atteindre un statut et un salaire ordinaires. Et ce, de plus en plus, difficilement.
Le stage n’est donc pas un objet précaire isolé, mais bien une figure que prend la dégradation du statut du travail salarié. Ces figures constituent un véritable archipel : du stage au contrat à durée déterminée, des engagements sur mandat aux contrats «zero hour», des pré-stages aux formations post-diplôme. Ces situations configurent une importante fraction de la vie au travail comme une situation de difficulté matérielle, de précarité et de manque de droits. Ce n’est pas seulement la surexploitation qui s’impose mais aussi une pression extraordinairement forte à la conformité, à l’accomplissement de tous les rituels de soumission, à l’extrême difficulté de l’expression de toute position revendicative, critique ou dissidente. Les patrons sont dans la situation idéale pour imposer ce que le management nomme le savoir-être, pour déterminer ce que doivent être le comportement, les opinions, les affects. Ils prétendent ainsi mobiliser toute l’intelligence et tout l’affect pour, non seulement accomplir un travail, mais être parfaitement conforme et adapté-e dans toute la profondeur de l’être à ce que désire et prescrit le patron.
Ce que ce système vise ce n’est pas simplement de commander ce que tu fais ou que tu ne fais pas, mais ce que tu dois être pour lui.
Les stages contiennent une dimension de mise en application des connaissances, de formation aux réalités et aux contraintes du travail ordinaire. Les coûts de cette préparation ont été, dans une grande quantité de situations, pris en charge par les employeurs. Le salaire et le statut normal intégraient que l’acquisition d’expérience et la socialisation aux conditions de travail ordinaires prenaient un certain temps. Aujourd’hui, ces coûts sont reportés sur les travailleurs/euses notamment par le biais des stages.
Affaiblir nos qualifications, créer des clôtures privatives
Ceux-ci ont également une autre utilité. Ils construisent et ils scellent l’hyperspécialisation, la parcellisation du travail et du coup la difficulté croissante à exploiter toutes les possibilités que donnent la formation et la qualification atteinte. Or, cette réduction de la professionnalité, cette parcellisation affaiblissent les travailleurs/euses dans leur parcours sur le marché du travail. Elles cloisonnent les carrières et les parcours professionnels, réduisant de fait leur mobilité. Encore une fois, c’est bien le mouvement de précarisation par le commandement entrepreneurial, public ou privé d’ailleurs, qui est à l’ordre du jour.
La réponse à tout cela, ne peut être que radicale. Là où il y a fourniture de travail, le travail doit être payé, aux conditions usuelles à celles définies par les accords collectifs ou le cadre légal. Le stage est, très clairement, un contrat de travail à durée déterminée. Comme nous l’avons écrit plus haut, il prend rang parmi ces modes et ces statuts de travail qui, de plus en plus nombreux, mobilisent les gens en les sous-salariant et en approfondissant leur position de subordination face au système. Il n’y a pas besoin de discuter longuement. Il y a à organiser, mobiliser et lutter pour arracher des revendications simples :
Les stages c’est du travail.
A travail égal, c’est salaire égal !
Quand il y a travail, il doit y avoir égalité des droits !